« Je marcherai…
La tribune officielle signée par Kery James.
Le 19 mars 2017 un collectif de familles de victimes de violences policières organise une marche à Paris. Une marche pour la justice et la dignité . Je répondrai à l’appel des familles de victimes car elles sont les plus légitimes dans ce combat. Ce sont elles qui ont été meurtries dans leur chair et parfois touchées dans leur honneur. Ce sont elles qui, au cours de procès longs et traumatisants, ont dû faire face à un système bien huilé qui tend à accorder aux policiers une impunité quasi-totale qu’ils sont étrangement les seuls à ne pas constater.
Ces années de lutte pour faire éclater la vérité leur ont permis d’acquérir une expérience et une expertise sur les questions des violences policières qui sont le socle de leurs revendications. Comment s’engager dans cette lutte autrement qu’en marchant à leur côté ? Elles qui y étaient déjà engagées et qui le seront encore lorsque l’effervescence médiatique autour de cette question disparaîtra.
Le 19 mars je marcherai donc avec elles et j’espère que tous ceux qui trouvent inacceptable qu’un citoyen puisse être violé sur la voie publique en feront autant . J’espère que tous ceux qui trouvent aberrant qu’un syndicaliste policier puisse déclarer sur un plateau de télévision en toute décontraction qu’il est convenable d’appeler un homme noir « bamboula » marcheront également le 19 mars .
Car si tel est le discours assumé en public, on peut aisément imaginer la violence des propos qui peuvent être tenus dans les rues et les commissariats à l’abri des caméras. Mais je veux encore croire que les comportements racistes et déviants ne sont l’affaire que de certains policiers et me refuse à les attribuer à la totalité d’entre eux. Je m’y refuse car je n’accepte pas que l’on stigmatise toute la banlieue à cause des agissements d’une minorité. Je m’y refuse parce que j’ai rencontré des policiers courtois qui ont souvent agi avec moi avec respect et m’ont témoigné leur sympathie.
J’en profite pour manifester ma solidarité envers les policiers qui ont le courage de briser l’omerta en dénonçant les comportements abjects de certains qui ne voient en l’uniforme qu’un moyen de laisser s’exprimer leurs pulsions les plus sauvages en toute impunité.
Toutefois, je m’oppose fermement et sans complaisance aux policiers délinquants protégés par la loi qui à chacune de leurs exactions salissent plus encore l’image de la profession et contribuent à faire monter le sentiment anti-policier. Cette fermeté est celle qui devrait être affichée par tout homme ou toute femme de bon sens, engagé dans la vie politique et désireux de préserver la cohésion sociale. Quel est donc l’avenir de ce pays si une partie des Français ne se sent pas en sécurité en présence de ceux qui sont censés les protéger ?
J’espère que tous ceux qui veulent dire non à une France où une partie de la population, fragilisée par sa condition sociale peut-être dans un premier temps discriminée, puis humiliée, puis assassinée ou violée marcheront le 19 mars.
Ne soyons pas tel celui qui voyant le feu au loin ne se mobilise pas pour aider à l’éteindre, jusqu’à ce que ce feu arrive à sa porte et réduise son habitation en cendres.
Ce combat contre l’injustice n’est pas uniquement le combat des Noirs et des Arabes. On nous violente aujourd’hui à cause de notre couleur de peau, d’autres le seront demain en raison de leurs opinions ou revendications politiques. Je pense à Rémi Fraisse décédé suite à un tir de grenade offensive lors de la manifestation de protestation contre le barrage de Sivens..
Les familles des victimes organisatrices de la marche du 19 mars souhaitent voir toute personne désireuse de manifester sa solidarité marcher à leurs côtés quels que soit son origine, sa couleur de peau, son bord ou son camp politique. Elles espèrent que tous ceux qui sont choqués que des émeutiers puissent être jugés en comparution immédiate et écopé de peines de prison ferme alors que d’autres, soupçonnés de viol ou de meurtres circulent dans nos rues, libres marcheront ce 19 mars . Comment ne pas évoquer la loi dite de la réforme de la sécurité publique qui vient d’être votée au Parlement comme une ultime provocation envers les victimes de violences policières et leur famille ?
Cette loi qui a été portée par ce gouvernement prétendument de gauche dans la précipitation va permettre entre autres aux policiers de faire usage de leur arme à feu contre quiconque cherche à échapper à leur garde après de simples sommations et selon leur propre appréciation du danger.
Comme le syndicat de la magistrature, l’Ordre des avocats de Paris, la conférence des bâtonniers, ou le collectif des familles de victimes, je m’oppose à cette loi et particulièrement aux dispositions qui tendent à élargir la possibilité pour les policiers de faire usage de leur arme à feu.
Si cette loi est promulguée, lorsque la première victime sera abattue dans des conditions suspectes et que les policiers mis en cause s’abriteront derrière cette réforme, nous devrons nous rappeler quel gouvernement a porté ce projet de loi et quel Président l’aura promulguée et rendu applicable. Les habitants des quartiers populaires qui sont les premiers exposés à la violence policière-pour le moment devront se poser les questions suivantes : » pourquoi ce gouvernement dit socialiste et ce président nous ont mis dans une telle situation ? »
« Quel est le sens de se rendre au chevet des victimes de violences policières tout en promulguant dans le même temps une loi qui risque de multiplier le nombre de victimes de ces mêmes violences ? »
Ils nous ont promis le récépissé contre les contrôles au faciès, nous aurons la réforme de la sécurité publique. Quant aux Racailles en col blanc, elles ne seront certainement pas inquiétées par cette loi. Détournement de fonds publics à des fins d’enrichissement personnel, emplois fictifs payés avec l’argent des contribuables, mensonges éhontés…
Malgré tout, elles ne seront pas interpellées sur un trottoir, fouillées, palpées sous les regards des passants, violées ou condamnées à mort dans un transformateur électrique.
Pas étonnant que leur seule réponse face aux derniers événements qui ont pourtant ému toute la France soit un soutien inconditionnel à la police.
Ce qui s’est passé à Aulnay-sous-Bois n’est malheureusement pas un cas isolé. Je pense notamment à Alexandre blessé au rectum par un policier municipal de Seine Saint Denis en 2015 à Drancy.
Ce qui s’est passé à Beaumont sur Oise n’est pas non plus un cas isolé. Je pense à Ali Ziri ce retraité Algérien de 69 ans décédé par asphyxie suite à une interpellation et sur le corps duquel on a retrouvé une trentaine d’hématomes.
Selon l’ACAT (action des chrétiens pour l’abolition de la torture), 15 personnes par an meurent suite à des violences policières en France.
C’est trop ! Cela doit cesser ! Et c’est pour cela que je marcherai avec le collectif des familles de victimes de violences policières le 19 mars. Et je me désolidarise dès à présent de quiconque voudrait profiter de ce rassemblement pacifique pour casser, voler, piller, dégrader ou s’en prendre physiquement et même verbalement aux policiers.
Quiconque agira ainsi ce jour-là sera considéré à mes yeux comme n’ayant aucun sens de l’intérêt général et peut-être même comme quelqu’un qui agit volontairement pour nuire à cette cause.
Je marcherai le 19 mars aux côtés des familles de victimes de violence policière, avant tout en tant que père.
J’ai aujourd’hui le sentiment profond que mes enfants ne sont plus en sécurité. Les faire grandir dans un certain confort matériel, leur inculquer des valeurs, financer leurs études, leur donner les armes intellectuelles pour se défendre, les éloigner de la délinquance ne suffira pas à les préserver des prédateurs armés, protégés par l’uniforme qui ne les verront que comme des « bamboulas ». À cause de leur couleur de peau, ils pourront être présents au mauvais moment au mauvais endroit et je sais aujourd’hui que cela pourrait leur être fatal. C’est avant tout pour eux que je me mobilise. Afin que dans quelques années lorsqu’ils me demanderont des comptes sur l’état de la France que nous leur aurons laissé, je puisse leur répondre « J’ai essayé… Le 19 mars, j’ai marché »
Kery JAMES
source : http://www.lebanlieusard.fr/