Municipales à Saint-Denis : la guerre sans fin contre le logement insalubre
À quelques mois des municipales 2020, Le Parisien se penche sur cinq villes clés de Seine-Saint-Denis et analyse les enjeux de la campagne. Cette semaine, le logement.
Par Gwenael Bourdon
Le 28 novembre 2019 à 12h58
« Ici, l’habitat insalubre recule », proclame un panneau orange, fixé à un échafaudage. Là des fenêtres murées, ici un immeuble en cours de démolition, au loin un immeuble neuf aux lignes modernes… Se promener rue Gabriel-Péri, en plein centre de Saint-Denis, c’est contempler, sur quelques centaines de mètres, le meilleur et le pire. Les petits immeubles qui la bordent par endroits ne sont pas sans charme… Mais ici, un logement sur cinq est considéré comme potentiellement indigne. La bataille face au fléau de l’insalubrité semble infinie.
On pousse la porte d’un immeuble d’allure anodine, au numéro 101. Dans le hall, l’escalier de bois penche bizarrement, et de larges fissures zèbrent les murs. Au premier, un énorme champignon lignivore pousse sur une poutre. « Mais le pire, c’est la cave. Quand je l’ai découverte, j’ai paniqué », avoue un locataire, arrivé en juillet et qui paie 790 € pour un 40 m2. En sous-sol, des étais métalliques soutiennent un bâtiment qui semble prêt à s’effondrer.
Un avis de la mairie, du 25 novembre, placardé sur la porte du bâtiment, annonce la mise en œuvre d’une procédure de péril imminent. Un architecte de la ville a visité à deux reprises l’immeuble et listé les « désordres » : des murs qui s’affaissent et « se délitent » dans la cave, fissures, lézardes, poutres vermoulues, humidité… Un expert nommé par la justice va à son tour évaluer l’état du bâti. S’il confirme le péril imminent, les habitants seront peut-être évacués. « La mairie réagit, mais elle n’a pas été rapide », estime le jeune homme, qui s’est mobilisé avec d’autres locataires.
2 logements sur 5 « potentiellement indignes » dans le centre-ville
Le cas du 101, rue Gabriel-Péri, est un dossier parmi d’autres, sur les bureaux de la mission Habitat indigne de la commune. Saint-Denis bénéficie depuis 2011 d’un des plus importants programmes de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD). Entre 2011 et 2017, il a permis d’identifier 293 logements insalubres, mais aussi de réhabiliter ou reconstruire 601 logements, ainsi que des commerces et quelques équipements en centre-ville. Le périmètre s’est élargi, englobant quelques adresses supplémentaires, dont l’immeuble pris d’assaut par le Raid en novembre 2015, suite aux attentats. Plus largement, 1 logement sur 5 serait « potentiellement indigne » dans l’ensemble de la commune, 2 sur 5 dans le centre-ville.
Rue Aubert, l’œil accroche une façade élégante, pierres claires, parements de bois vert amande aux fenêtres. La petite copropriété a été accompagnée dans ses travaux de rénovation, de la mise aux normes électriques jusqu’à l’isolation des combles. « C’était en très mauvais état, avant. J’étais même prête à partir », confie l’une des propriétaires, qui a payé 27 000 €. De 2011 à 2016, 176 copropriétés (3 238 logements) ont engagé pour 23,8 M€ de travaux, dont 30 à 50 % couverts par des subventions.
« On reconnaît une amélioration mais il y a toujours des syndics véreux »
« On reconnaît sans mal une amélioration, certaines résidences insalubres ont été rénovées, note David Frigge, du collectif Copros libres Saint-Denis. Mais parallèlement, d’autres immeubles se dégradent à grande vitesse, parce qu’il y a toujours des syndics véreux, des marchands de sommeil… »
Et ceux-ci sont à l’œuvre dans toute la ville. Depuis le début du mandat, huit propriétaires bailleurs ont été condamnés pour avoir loué des taudis. D’autres sévissent toujours. Au 200, boulevard Anatole-France, dans le quartier Pleyel, un couple vient ainsi de réintégrer l’appartement qu’il avait quitté pour cause d’insalubrité il y a quelques semaines. Sur injonction de la préfecture, les propriétaires ont fait des travaux.
Mais la peinture cloque déjà et le ballon d’eau chaude fuit à gros bouillons. « Quand nous donnera-t-on un logement décent ? », se plaignent les locataires. Leur bailleur n’est pas un inconnu sur la ville. En 2011, il avait déjà été condamné pour avoir logé des personnes vulnérables dans des conditions indignes.
Les candidats répondent
Un point met au moins tous les candidats d’accord : la bataille engagée en centre-ville a eu quelques effets, mais elle est trop lente.
« On ne peut pas dire que rien n’a bougé, admet le socialiste Mathieu Hanotin. Mais c’est le tonneau des Danaïdes ! » Ce dernier estime que la solution réside aussi en aval : « On ne peut pas parler logement sans parler du système d’attribution des logements sociaux. Le sentiment aujourd’hui, c’est que c’est du clientélisme. Je veux mettre en place un système de cotation, par points, pour rétablir la justice. »
Bally Bagayoko, maire adjoint sortant et candidat de La France Insoumise, milite pour la création d’un « observatoire territorial du logement insalubre, pour intervenir le plus en amont possible ». « Cela pose la question plus large du droit d’être logé », précise le candidat qui veut « un moratoire sur les démolitions de logements sociaux, notamment au Franc-Moisin ».
« C’est trop lent ! »
Alexandre Aïdara, candidat LREM, est convaincu qu’une « municipalité bien gérée » peut accroître son effort financier, pour intervenir plus efficacement sur le bâti. « On a parfois laissé les choses se dégrader. Il faut aussi faire du lobbying, aller chercher les moyens, et les partenaires privés ». Son ambition : « un plan sur l’ensemble du mandat pour refonder le centre-ville et l’embellir ».
Houari Guermat, candidat centriste, se prononce lui pour « un moratoire sur les nouvelles constructions » : « 120 000 habitants, c’est bien assez. Qu’on se concentre sur la rénovation et l’insalubrité ! C’est trop lent ! »
Mais pour le maire PCF sortant, Laurent Russier, les résultats sont là : « Le parc considéré comme potentiellement indigne recule désormais en centre-ville », affirme-t-il, en rappelant que l’action doit s’élargir, dans le cadre de la rénovation urbaine, à d’autres secteurs. L’élu, qui mise aussi sur le permis de louer, instauré le 1er janvier, rappelle la charge que représente l’action contre l’insalubrité pour la ville.
« Nous avons recruté six personnes de plus. Nous avons réalisé 2 M€ de travaux en nous substituant aux copropriétaires lorsqu’il le fallait. Le plus long, c’est le relogement, qui a concerné 200 familles. Entre ce que l’on fait et ce que l’Etat nous verse, il y a chaque année un écart de 600 000 € ».