[#Communistes/Insoumis, quel avenir en commun ? De ma collègue, Nora Saint-Gal, qui est une contribution à la réflexion collective sur la nécessaire construction d’une gauche progressiste, écologiste et durable]
« La séquence électorale », selon l’expression consacrée, étant terminée, je mets de côté mon désarroi pour tâcher de partager quelques réflexions. Je préfère prendre le temps de les écrire ici, les invectives et les commentaires à l’emporte-pièce sur les réseaux sociaux me semblant constituer un des aspects les plus désagréables de la campagne qui s’achève (en tout cas, pour ce que j’en ai observé dans ma famille politique).
La progression de l’abstention, une maladie qui nous engage tou.te.s
Je retiens d’abord, de cette séquence qui s’achève, la maladie de nos institutions. A l’élection présidentielle, si le record d’abstention n’a pas été battu (celui-ci datant de 2002 avec 28.4% au 1er tour), le fait que la participation se soit située en-deçà de celle de 2012 (22.2% au 1er tour et 25.4% au 2nd tour contre 20.5% et 19.6% en 2012) constituait déjà un signal d’alerte. Lors des élections législatives, le phénomène s’est accentué, atteignant des records sous la Ve République (51,3% d’abstention au premier tour).
Nombreux ont été les commentaires sur cette progression de l’abstention mais qui en prend vraiment la mesure et, surtout, qui est prêt à en assumer sa part de responsabilité ?
Pour ma part, je considère que l’abstention est l’affaire de toutes celles et tous ceux qui prétendent exercer un mandat électif et, à ce titre, représenter leurs concitoyen.ne.s. Bien sûr, il faudrait une rénovation profonde de nos institutions et il est inutile de compter sur le nouveau pouvoir pour s’y engager, puisque Macron, comme ses prédécesseurs, a tout intérêt à faire perdurer ce système, qui lui donne les coudées franches pour mettre en œuvre son programme.
Mais, à côté d’un engagement résolu pour la VIe République – comprenant le passage à la proportionnelle aux élections législatives et la suppression de l’élection du Président de la République au suffrage universel – il faut, au quotidien, s’interroger sur ce qui peut permettre de retendre le lien entre les citoyen.ne.s et leurs représentant.e.s.
Le vent du renouveau ?
Dans ce contexte de participation faible, que retenir de cette séquence électorale, qui a tout de même bouleversé la situation politique nationale ?
Tout d’abord, contrairement au story telling dont on nous a abreuvés depuis son élection, il faut souligner la légitimité faible d’Emmanuel Macron. Son score de la présidentielle, au premier tour (8.656M de voix, soit 1.5M de voix de moins que François Hollande en 2012, 2.8M de voix de moins que Nicolas Sarkozy en 2007), ainsi que les études sur les motivations du vote (mettant en avant le phénomène de vote utile, ainsi que l’incarnation du « changement »), montrent qu’il est loin de disposer d’une majorité d’adhésion pour son projet.
Il est toujours délicat de faire parler « la majorité silencieuse ». On peut néanmoins, sans trop se tromper, retenir l’expression d’une colère et le rejet d’un système dépassé. Les leaders en place ont été balayés, les deux grands partis ayant animé la vie politique française depuis des décennies ont été sérieusement ébranlés. Bien sûr, il ne faut pas être dupe de cet effet de « renouveau » : l’Assemblée nationale est renouvelée, rajeunie, féminisée mais l’endogamie sociale continue d’y faire des ravages…
A l’occasion de l’élection présidentielle, l’extrême-droite a continué de progresser, Marine Le Pen atteignant, au second tour de la présidentielle, un score inédit, en pourcentage (33.9%) et en voix (10.6M), et parvenant à gagner 3 millions d’électeurs entre les deux tours. Des verrous ont sauté par rapport au vote Front national, rendant la menace fasciste plus prégnante encore.Le recul du Front national aux élections législatives, notamment lié à l’abstention, ne doit pas nous faire sous-estimer cette menace.
De quoi le résultat de Jean-Luc Mélenchon est-il le nom ?
Dans ce contexte, la candidature de Jean-Luc Mélenchon a créé l’événement. La campagne a permis de porter sur le devant de la scène politique des idées qui n’y avaient plus leur place, elle a suscité de la fierté, ramené au vote des abstentionnistes et permis de renouer avec un vote populaire.
Jean-Luc Mélenchon a aussi réussi à incarner le vote utile à gauche, ce qui est à la fois porteur d’espoir et source de questionnements pour comprendre les ressorts du vote et son ancrage possible dans le temps : en effet, il est difficile de distinguer ce qui relève de l’adhésion à un projet de transformation radicale, du choix du vote le plus utile à un instant t, dans un contexte de crise de la social-démocratie – les deux motivations pouvant bien sûr se conjuguer.
En tout état de cause, la belle dynamique autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon et le résultat inespéré de 19.6% (7 millions de voix) ne doivent pas faire oublier qu’il est loin d’exister, en l’état actuel des choses et des forces, une majorité d’idées pour la transformation sociale, dans notre pays.
Dès lors, nos responsabilités sont immenses, tout comme la tâche qui nous attend. Avant de dresser quelques perspectives, je pense utile de revenir sur la stratégie de la France insoumise et les relations entre le PCF et la France insoumise, ces derniers mois.
Les relations PCF / France insoumise
Les militant.e.s communistes sont aujourd’hui nombreux à dire : « La France insoumise, sans moi ! », persuadés qu’ils sont d’avoir été maltraités durant la campagne, en particulier pour les législatives. Cependant, chacun devrait se demander si la France insoumise ne s’est pas contentée de nous rendre la monnaie de notre pièce…
En effet, après avoir tergiversé pendant de longs mois pour soutenir Jean-Luc Mélenchon, le PCF aurait voulu obtenir la moitié du gâteau au moment de se partager les circonscriptions pour les législatives. Il reproche en particulier à la France insoumise d’avoir présenté des candidats, souvent venus d’ailleurs (« parachutés »), là où les communistes sont implantés depuis longtemps et nourrissaient des espoirs de reconquête (comme à Ivry ou à Montreuil).
Au final, la France insoumise a gagné l’immense majorité des « primaires » qui l’opposaient aux candidats communistes…, y compris dans des endroits où l’implantation et la notoriété de nos candidats étaient fortes (dans les circonscriptions considérées comme gagnables, avant l’élection, les candidats soutenus par le PCF se sont imposés, face aux candidats France Insoumise, dans deux circonscriptions seulement, celles de Nanterre et de Gennevilliers).
Nous pouvons continuer de déplorer le manque de coopération de la France insoumise mais ce serait oublier que la politique est toujours affaire de rapports de forces. Nous pouvons donc plutôt essayer d’en tirer quelques enseignements, pas toujours agréables mais, si possible, lucides.
Tout d’abord, sur la question du « parachutage », avant de le reprocher à d’autres, on doit à l’honnêteté de dire que le PCF l’a lui-même beaucoup pratiqué et si nous avons à peu près abandonné la pratique aujourd’hui, il me semble que c’est moins parce que nous la condamnons qu’en raison de notre affaiblissement, qui limite les possibilités de succès de telles entreprises. En outre, un « parachuté » d’hier peut devenir un excellent élu… nous en avons trop d’exemples au Parti pour le nier ! Ces duels fratricides ont constitué des épisodes douloureux, dont personne ne sort grandi, quand bien même la France insoumise croit y avoir gagné ses galons de « première force de gauche ». En écrivant ces lignes, je pense bien sûr à mes camarades communistes, dont je connais le dévouement et la loyauté. Mais aussi cruelle que soit l’épreuve, elle a le mérite de rappeler que les électeurs n’appartiennent à personne et que la notion de « bastions » est bel et bien dépassée. A l’efficacité de l’action quotidienne, à la présence militante assidue – quand elles existent encore – il faut pouvoir ajouter la cohérence d’une stratégie et d’un projet au niveau national.
On ne saurait oublier que la France insoumise a aussi réussi à faire élire des député.e.s dans des circonscriptions où l’implantation communiste est beaucoup moins forte et/ou déclinante : ainsi, l’Ariège, qui a envoyé deux député.e.s FI (sur deux sièges possibles), avait toujours, depuis 1958, élu des député.e.s socialistes. En Meurthe-et-Moselle, où Caroline Fiat a été élue face au Front national, il n’y avait plus de députée communiste depuis 1986.
On pourrait développer d’autres exemples (en Gironde ou à Paris) mais ces quelques lignes suffisent à éclaircir le propos : si la France insoumise place une bonne partie de ses troupes dans l’historique « banlieue rouge », elle réussit aussi une percée sur d’autres territoires et ces succès ne sauraient donc se résumer à celui d’un coucou qui se serait couché dans le lit préparé par d’autres.
Enfin, on se rappellera que la majorité des députés communistes élus n’avaient pas d’opposition France insoumise face à eux (Marie-George Buffet, Stéphane Peu, Sébastien Jumel, Jean-Paul Dufrègne, Pierre Dharreville, Alain Bruneel, Hubert Wulfranc). Ce sont ces députés (avec les 4 autres PCF et le renfort d’élus ultramarins) qui permettent aujourd’hui au PCF de disposer d’un groupe à l’Assemblée nationale.
Une fois posé cela, je ne donne pas pour autant un blanc-seing aux méthodes employées par la France insoumise lors de ces élections législatives.
Je continue de penser que « nos » gains (je parle d’un commun qui a eu du mal à exister mais dont je ne désespère pas qu’il advienne…) auraient pu être bien plus importants si nous avions su prolonger et démultiplier la dynamique indéniable née de l’élection présidentielle par un ancrage local fort et des pratiques militantes de proximité. La France insoumise est une toute jeune organisation et je ne doute pas qu’elle développera cet ancrage dans les années à venir.
Mais je pense que la table rase du passé n’est pas la méthode la plus efficace. En tout cas, je suis convaincue que nous aurions pu, dès cette séquence électorale, et à condition de pratiques moins verticales et moins dogmatiques, travailler à mieux mettre en commun nos atouts et, bien sûr, éviter ces candidatures concurrentes qui nous ont éliminés (Insoumis comme PCF) du second tour dans de trop nombreuses circonscriptions (y compris les plus emblématiques, comme celle de Myriam El Khomri, à Paris).
Le rajeunissement et la féminisation de l’Assemblée nationale, auxquels contribue la France insoumise, sont une bonne chose (surtout quand on voit que le PCF envoie 9 hommes sur 11…) mais je crois que nous pourrons réellement prétendre avoir contribué au renouvellement du personnel politique quand nous permettrons à des citoyen.ne.s « lambda » de s’engager, d’accéder aux responsabilités et fonctions électives, en bref de s’emparer eux-mêmes du pouvoir et non prétendre toujours l’exercer à leur place.
Or, parmi les député.e.s insoumis, on compte plusieurs cadres du Parti de gauche, constituant la garde rapprochée de Jean-Luc Mélenchon, avec un profil de professionnels de la politique. On verra comment ceux qui sont arrivés quelques semaines avant l’élection, dans la circonscription qui les a élus, réussiront leur implantation et s’inscriront dans une action quotidienne de proximité.
En attendant, je préfèrerais toujours la victoire d’une enfant de Colombes, Elsa Faucillon, celle de François Ruffin dans la Somme ou, bien sûr, la magnifique campagne conduite par Farida Amrani et Ulysse Rabaté dans des villes, Corbeil et Evry, où ils mènent le combat depuis de longues années.
A l’arrivée de cette séquence électorale, si les états-majors peuvent faire mine de se réjouir – la France insoumise comme le PCF ont réussi à constituer chacun son groupe : la belle affaire ! , les blessures sont vives chez bien des militant.e.s. Que de mots qui blessent, que d’énergie gaspillée, alors que nous avions – nous avons – tant à faire ensemble !
Si l’élection de « 29 député.e.s de combat », comme l’a titré L’Humanité, a fini par apparaître comme une heureuse surprise, c’est pourtant loin de ce que pouvait laisser espérer le score de l’élection présidentielle, y compris en tenant compte de la baisse de participation et des effets de l’inversion du calendrier électoral.
C’est loin aussi, et surtout, du groupe qu’il aurait fallu pouvoir constituer pour s’opposer de manière efficace à la politique d’Emmanuel Macron et son Gouvernement et, ainsi, être fidèles au mandat donné par les 7 millions d’électeurs de la présidentielle.
Je sais que nos député.e.s feront leur possible pour remplir au mieux leur rôle, notamment auprès de leurs concitoyen.ne.s, mais dans la configuration actuelle de l’Assemblée, où le Président dispose d’une majorité absolue, ils n’en seront pas moins circonscrits, pour une grande part, à un rôle de porte-voix, sans possibilité réelle d’infléchir le travail parlementaire.
Alors, quel avenir en commun ?
Le défi qui se pose à nous, qui voulons continuer de rêver aux jours heureux et nous engager pour les faire advenir, m’apparaît aujourd’hui s’articuler autour de quatre séries de questions :
Quelle actualité du clivage gauche / droite ? quelle pensée de la transformation sociale ?
Au delà de son résultat, l’intérêt et la dynamique qu’a suscités la campagne de Jean-Luc Mélenchon ont révélé – ou rappelé – l’attente d’une véritable alternative et l’audience des idées de justice sociale, de transition écologique, de renouveau démocratique. Pour autant, la majorité d’idées n’existe pas ou, en tout cas, n’est pas constituée de façon solide.
Les repères sont brouillés, la gauche est discréditée ou vide de sens pour bien des électeurs. Jean-Luc Mélenchon a tenté de contourner le problème en substituant au clivage gauche/droite, l’opposition entre le peuple et les élites.
Cette substitution est-elle le juste chemin pour reconquérir la majorité d’idées dont nous avons besoin ? Je suis encore réticente à m’y engager, car je pense que le chemin reste aussi important que l’objectif à atteindre. Je me méfie des compromissions auxquelles il faudrait consentir pour traverser « le moment populiste » mais je sais aussi reconnaître le mérite de l’efficacité.
Quel rapport à l’exercice des responsabilités ? Quelle construction pour un rassemblement majoritaire ?
Dans cette campagne, Jean-Luc Mélenchon a su comprendre et capter la recherche, à la fois, d’une rupture franche avec les accords d’appareils, à géométries variables, et le besoin d’une cohérence dans la ligne et la stratégie défendues.
A ce sujet, il a notamment tiré enseignement des errements du Front de gauche.
Dans ce que donne à voir la France insoumise de son fonctionnement (charte d’engagement pour les législatives, fonctionnement du groupe parlementaire, création de groupes France insoumise dans les municipalités où cela est possible…), on voit que le souci de cette cohérence, associé à un enjeu de visibilité et d’installation dans le jeu politique, est prégnant.
Mais comment cela peut-il se concilier avec la recherche de majorités pour emporter des combats d’idées mais aussi des victoires électorales ? La France insoumise considère-t-elle, comme le PCF au temps de sa splendeur, que les majorités doivent se construire autour d’elle ?
A mon avis, les résultats décevants des élections législatives devraient, au contraire, engager la France insoumise à se garder de toute tentation hégémonique sauf à considérer, pour les années à venir, que son implantation dans le paysage politique national est plus importante que les changements concrets à faire advenir, qui nécessitent de construire et d’emporter des majorités.
Toutes ces questions peuvent bien sûr être posées en vue de prochaines échéances électorales, à commencer par les élections municipales mais elles dépassent le seul enjeu des élections et renvoient bien sûr à l’histoire de la gauche (ou des gauches) en France et en Europe.
Quel engagement citoyen ? Quelle mobilisation des classes populaires ?
Dans le contexte d’une abstention un peu plus élevée qu’en 2012 (+2 points, à 22.2%), la candidature de Jean-Luc Mélenchon a suscité une dynamique réelle. Nous l’avons notamment vu dans les quartiers populaires, où un vote spontané semblait s’exprimer, y compris chez des abstentionnistes de longue date.
Mais la France insoumise aurait tort de penser que les 7 millions de voix de la présidentielle sont acquises et qu’elles constituent un socle solide, voire monolithe, pour se projeter plus loin. Les législatives ont commencé de le montrer. Cela tient certes à notre système institutionnel, aux effets de l’inversion du calendrier électoral, à la dévalorisation des élections législatives, au sentiment de saturation ressenti par les électeurs.
Mais on a aussi constaté un phénomène de sur-abstention aux législatives, chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, qui tient à la fois à la sociologie de son électorat (dans les quartiers populaires) mais aussi, pour une part qu’il est difficile de quantifier, à la déception ressentie par certains électeurs de la présidentielle, tant concernant le positionnement de second tour, que la stratégie employée pour les législatives.
Cela nous rappelle le travail acharné que nous avons à produire pour passer d’un vote ponctuel à une réelle mobilisation populaire, pour faire passer le cap de l’engagement à des milliers, des millions de citoyens. Or, sans cette force populaire, il ne sera pas possible de conquérir les majorités d’idées et les majorités de vote dont nous avons besoin.
Quelle place pour les organisations politiques ?
La France insoumise continue de revendiquer ne pas être un parti politique. A mon avis, cela ne pourra pas durer très longtemps car il lui faudra donner à la fois des gages d’efficacité et de démocratie.
Comme l’écrivent les signataires de l’appel Front commun, « d’une manière ou d’une autre, il faut donc inventer, dans notre société socialement et politiquement diverse, les moyens de construire la force politique commune dans lequel tous les courants partisans des nécessaires ruptures économiques, écologiques et institutionnelles (insoumis, communiste, socialiste, écologiste, libertaire, féministes, altermondialistes, etc.) pourront trouver leur place, et susceptible ainsi d’être le ciment d’un rassemblement majoritaire. »
Certain.e.s considèrent que cette nouvelle force politique existe déjà, du moins à l’état d’embryon, et qu’elle se nomme la France insoumise. Pour ma part, je suis partagée entre le souci de l’efficacité (partir de l’existant et du socle le plus large possible) et mes réticences, tenant tant à la prise en compte de mon identité, qu’à mon aspiration à des pratiques politiques renouvelées, que je n’ai pour l’instant pas observées dans la France insoumise. Mais c’est aussi en investissant un espace qu’on peut en élargir les murs…
Je me donne l’été pour réfléchir !
Nora Saint-Gal
Membre du PCF