Bally Bagayoko : « Combattre les frontières urbaines, sociales et humaines à Saint-Denis »
Alors que le PCF a annoncé la candidature de Laurent Russier aux élections municipales de 2020 et que le PS a fait de même avec Mathieu Hanotin, le chef de file local de la France Insoumise, Bally Bagayoko, fait un tour d’horizon des enjeux actuels sur la ville : les JOP 2024, le Grand Paris, la transition écologique, le budget…
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Le comité citoyen de vigilance sur les Jeux Olympiques à Saint-Denis a organisé une rencontre dans le cadre du Grand Débat national, dimanche 10 mars, pour exprimer notamment son « mécontentement ». Comment réagissez-vous à son initiative ?
Bally Bagayoko : Je rends hommage à ces citoyens et citoyennes engagées qui ont su formuler de manière pertinente les questions que se posaient aussi quelques-uns d’entre nous au sein de la majorité. Cette démarche critique est nécessaire : si les JOP 2024 peuvent être une belle opportunité pour le territoire, cela peut être aussi, entre autres, le cheval de Troie de la spéculation immobilière. Le développement du territoire ne doit pas se faire en sacrifiant une partie de la population ! Il faut que les JOP soient une occasion de réduire les frontières urbaines au sein de la ville, c’est-à-dire ce qui cloisonne les quartiers. Il s’agit d’exiger l’amélioration des circulations entre les différents quartiers, de s’assurer que le réaménagement de la Plaine Saulnier retisse un lien entre le nord et le sud, que l’aménagement de Pleyel ne soit pas fait au détriment de la santé des habitants, en particulier des enfants, de favoriser la végétalisation… Avec ces acteurs de la société civile, nous avons les moyens de créer un rapport de forces avec les puissances qui organisent ce méga-événement sportif, afin de faire entendre les revendications dionysiennes. L’héritage des JOP doit être réellement bénéfique pour les gens de la ville, au niveau socio-économique, sportif et écologique.
Justement, en parlant d’écologie…. Au conseil municipal, votre groupe s’est opposé à la mise en place immédiate d’une Zone de Faible Emission (ZFE) à Saint-Denis, à l’intérieur d’un périmètre délimité par l’A86 où les véhicules les plus polluants (diesels anciens) ne seraient pas autorisés à circuler. N’est-ce pas contraire à l’exigence écologique que défend la France Insoumise ?
Bally Bagayoko : Le gouvernement et la métropole du Grand Paris ne prennent pas au sérieux l’accompagnement des gens contraints d’utiliser leur véhicule et qui n’ont pas les moyens d’investir à court terme dans un véhicule propre. D’ailleurs ça a été le point de départ du mouvement de Gilets Jaunes. Sur ce point, l’approche des Insoumis est claire : la transition écologique exige un plan d’urgence et une volonté politique qui impactent toute l’économie, et pas que des actes individuels.
Nous sommes bien placés à Saint-Denis pour constater la menace constante de la pollution sur notre santé et celle de nos enfants. C’est à la Porte de Paris qu’Airparif a relevé les taux de polluants atmosphériques les plus élevés d’Ile-de-France. C’est là et au carrefour Lamaze que les habitants exigent l’enfouissement de l’autoroute A1. Et c’est à Pleyel, quartier balafré par les voies routières, que des habitants ont lancé une pétition contre le projet de système d’échangeurs de l’A86, et même élaboré un contre-projet ! Il faut s’appuyer sur ces expertises locales pour échafauder des solutions authentiques : les personnes qui vivent ici sont les mieux placées pour savoir ce dont elles ont besoin dans leur territoire. C’est la seule manière efficace de résorber les fractures urbaines aussi bien que sociales.
« La transition écologique exige un plan d’urgence et une volonté politique, pas que des actes individuels ! »
Les Jeux Olympiques, la gare du Grand Paris Express, tous ces grands projets qui font venir des nouveaux habitants à Saint-Denis, n’est-ce pas une opportunité de créer plus de mixité sociale ?
Bally Bagayoko : On se réjouit de l’attrait qu’exerce Saint-Denis. Et il n’y a pas de critère sociologique à respecter pour venir habiter ici. Mais si l’on veut réellement lutter contre la ségrégation, on ne peut pas se contenter d’une position de principe et du laisser-faire, il faut prendre des mesures politiques. Les gens qui sont chassés de Paris par la hausse de l’immobilier sont les bienvenus ici. Mais pas les spéculateurs et les promoteurs rapaces ! Saint-Denis n’est pas un butin à se partager, et l’aménagement urbain ne doit pas être un moyen de chasser les classes populaires. Là encore, en mobilisant largement, nous pouvons bâtir un rapport de forces sur la question du logement, sur celle du développement économique, afin de créer plus d’emplois locaux et pérennes, mais aussi sur celle des services publics, insuffisants au regard des besoins pour accueillir adéquatement les nouvelles populations dans les quartiers en développement rapide : La Plaine, Pleyel…
Est-ce qu’il est souhaitable pour une commune de se substituer à l’Etat en matière de services publics, notamment avec les nouvelles règles budgétaires ?
Bally Bagayoko : Quel cynisme de la part des dirigeants d’imposer aux collectivités de pallier les carences de l’Etat ! Mais ce n’est pas une surprise : le « pacte financier Etat-collectivités » voulu par Macron prolonge cette politique d’austérité qui ne fonctionne pas … Le danger, c’est de transiger sur nos principes. Par exemple, le maire a signé une convention pour créer une « Maison de Services au Public », qui a remplacé le bureau de Poste à Saussaie-Floréal-Courtille. Ce glissement du « service public » vers le « service au public », c’est cela qu’il faut enrayer. A condition d’être inventives et déterminées, les villes peuvent actionner des leviers, mener des actions pour obliger l’Etat à répondre présent. Mais on ne le fera qu’en associant les collectifs montés par des citoyens et des citoyennes. On l’a vu avec les Bonnets d’âne : quand la Ville et les parents ont travaillé ensemble, il a été possible de peser sur l’Education nationale.
« Il est impératif de revoir comment l’équipe municipale travaille avec les personnels de la Ville. »
Ces dernières semaines, vous avez critiqué la gestion du conflit social avec les chauffeurs de car municipaux. Qu’est-ce qui a posé problème ?
Bally Bagayoko : Quand la réorganisation d’un service de huit agents débouche sur une grève de la faim et plusieurs semaines de blocage du Centre Technique Municipal, c’est un fiasco. C’est inquiétant, parce que ce n’est pas la première fois : en 2016, la grève des personnels des crèches puis de l’ensemble des territoriaux avait obligé le Maire à annuler des réorganisations. Il y a trop de souffrance au travail et une perte de confiance des agents vis-à-vis des élus et cadres de la Ville. Or, on ne pourra pas développer des services publics de qualité sans l’engagement des personnels. Ils sont au plus près des Dionysiens et des Dionysiennes, ils sont le fer de lance de l’action municipale. Il est impératif de revoir la manière dont l’équipe municipale travaille avec eux. Ça commence par s’abstenir de rogner sur leur pouvoir d’achat avec des astuces comptables. Surtout, ça implique, notamment pour les hauts cadres de l’administration, de prendre au sérieux leur expertise du terrain, de les consulter et plus encore de les associer aux réorganisations de services et aux objectifs qu’on se fixe en matière de services rendus à la population.
Au-delà de la gestion du personnel, quel bilan tirez-vous de la majorité actuelle ?
Bally Bagayoko : Il reste encore un an de mandat avant de dresser le bilan. En nous imposant l’austérité, l’Etat nous a retiré 28 millions d’euros depuis 2014… Pourtant, on a maintenu un niveau de service public au-dessus des villes de même taille. Quelle ville peut, dans ce contexte, se prévaloir d’avoir conservé quatre centres municipaux de santé ? D’offrir 100 bourses étudiantes solidaires de 1500 euros par an ? D’avoir mis en place un dispositif de soutien à la 1ère licence sportive pour les enfants ou d’avoir lancé la construction d’un nouveau conservatoire ? Pour autant, partout où je vais, dans les débats, les rencontres, j’entends une critique et parfois, il faut bien le dire, une colère sur la faiblesse de la démocratie locale ! Il n’y a qu’à voir les tensions autour des projets ANRU à Floréal ou au Franc Moisin pour s’en convaincre. De même sur les JOP. Il y a une exigence d’être associé réellement aux décisions, et une énergie formidable des citoyens de cette ville que le Maire ne prend pas assez en compte.
Est-ce que cela explique le niveau d’abstention très élevé lors des différentes élections à Saint-Denis ?
Bally Bagayoko : Oui, en partie, c’est certain. Quand les gens sont mis à l’écart des processus de décision, n’ont pas l’impression d’être écoutés, pris au sérieux ou soutenus dans leurs mobilisations, ils s’éloignent du jeu démocratique. C’est normal et il ne suffit pas de le déplorer, ni de faire la leçon aux abstentionnistes. Par ailleurs, je crois aussi qu’une bonne partie de la population ne se sent pas correctement représentée.
« Il y a une exigence d’être associé aux décisions, une énergie formidable des citoyens, que le Maire ne prend pas assez en compte »
Vous parlez de représentativité des élus : vous êtes noir, issu de l’immigration, pensez-vous que ça fait de vous un bon représentant pour cette ville aux plus de 130 nationalités ?
Bally Bagayoko : De même que l’habit ne fait pas le moine, la couleur ne fait pas le représentant. Toutefois, je crois qu’il est nécessaire de rendre visible les invisibles. L’élection de Mohamed Gnabaly à l’Ile-Saint-Denis ou d’Azzedine Taïbi à Stains ne doit pas nous faire oublier que la politique française est en retard de ce point de vue. Le Parti Socialiste a sacrifié une génération de militants issus de l’immigration et des banlieues. Nous ne devons pas refaire la même erreur. Dans notre ville, des gens qui payent des impôts et qui sont actifs au quotidien sont trop souvent exclus de la citoyenneté. Il y a plusieurs années nous avions eu l’audace d’organiser un référendum sur le droit de vote des étrangers. Nous devons reprendre ce combat, même aller plus loin en donnant un vrai pouvoir aux citoyens étrangers — quitte à désobéir à l’Etat. Plus largement, on a vu avec l’attentat islamophobe en Nouvelle-Zélande, où conduit la logique de la haine. Il est temps de faire tomber les frontières qui existent aussi entre les humains, en s’attaquant au principe même de la domination, qui contient toutes les discriminations.
Le maire Laurent Russier vous décrit comme « un pilier de la majorité municipale », pourtant vous êtes chef de file de la France Insoumise et « Le Journal de Saint-Denis » vous présentent comme candidat probable ?
Bally Bagayoko : Cela exprime sûrement la reconnaissance du travail que je porte avec mes collègues du Groupe REVE-Insoumis. L’essentiel pour l’instant c’est qu’au sein de la majorité chacun soit à sa tâche et sur ses responsabilités. C’est l’exigence des citoyens. Pour ma part, j’ai grandi dans les quartiers de cette ville, j’ai fait mes études à Paris 8, je me suis engagé dans le militantisme associatif, notamment par le basket — d’ailleurs, c’est à travers le sport que j’ai d’abord touché du doigt ce qu’est une ville solidaire, dont l’ambition est de donner le meilleur aux plus modestes. C’est ça pour moi l’héritage du communisme municipal. Et c’est pour cela que je pense qu’il nous faut trouver le chemin d’abolir et de casser les frontières sociales, humaines et urbaines qui minent notre territoire. J’aime cette ville et rien ne pourra me détacher de Saint-Denis. Les 45% de suffrages exprimés en faveur de Jean-Luc Mélenchon et des Insoumis aux élections présidentielles, nous donnent une grande responsabilité dans l’avenir de Saint-Denis. Alors c’est sûr que je compte être aux premiers rangs pour rassembler les Dionysiennes et les Dionysiens et construire un avenir en commun.
Source : article(s) de Médiapart, 20 04 2019 /Par Michel Skouri