REMISE DE LA DISTINCTION DE LA LÉGION D’HONNEUR A PATRICK BRAOUEZEC PAR JACQUES MARSAUD
A L’HÔTEL DE VILLE DE SAINT DENIS
le 18 novembre 2016
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Madame, Monsieur le Ministre,
Monsieur le Préfet,
Mesdames Messieurs les Présidents
Monsieur le Maire, cher Didier,
Mesdames Messieurs, chers amis, chers collègues,
Monsieur le Président, cher Patrick,
Lorsque j’ai appris que tu avais été nommé Chevallier dans l’ordre national de la Légion d’honneur, je me suis dit : enfin ! Voilà bien longtemps que compte tenu de ton engagement militant aussi déterminé que sincère au service du bien public et de l’intérêt général, et des responsabilités que tu as été amené à exercer dans ce cadre, voilà bien longtemps disais-je que tu aurais dû recevoir cette distinction et cette reconnaissance de la République.
Lorsque tu m’as proposé d’être celui qui te remettrait cette distinction, là, tu le sais, j’ai été surpris et étonné. Surpris, car je ne m’y attendais vraiment pas, étonné car je savais que dans tes relations amicales, nombreuses étaient les personnalités connues et reconnues qualifiées pour te remettre cette Légion d’honneur. Et puis finalement, je me suis dit que cela te ressemblait bien, avec tout à la fois la modestie et l’art du contrepied qui te caractérisent : te faire remettre la Légion d’honneur par ton secrétaire de Mairie, ce qui constitue sans doute une première en France.
Surpris donc, finalement pas si étonné que cela, mais en tous cas très honoré. Comme je l’avais dit lorsque Jean Pierre Duport m’avait remis ici même la Légion d’honneur, ce qui m’autorise à te la remettre aujourd’hui, j’étais bien conscient que je la recevais au nom de la fonction publique territoriale. Considère donc mon cher Président que c’est la fonction publique territoriale qui ce soir te remet la tienne ; cette fonction publique territoriale que tu as toujours défendue, considérée, avec qui tu as toujours si bien travailler et que tu as su faire bien travailler.
En 1982, nous recherchions quelqu’un pour mettre en place à Saint Denis, puis diriger la Permanence d’Accueil, d’Information et d’Orientation récemment créée par le nouveau ministre de la formation professionnel, Marcel Rigout. Le Maire, Marcelin Berthelot me dit qu’il y avait un jeune instituteur engagé dans la vie politique et associative à Saint Denis, dont on disait le plus grand bien. Il me conseilla vivement de le contacter pour lui faire la proposition de prendre cette responsabilité. C’est ainsi que nous nous sommes rencontrés pour la première fois et que j’ai eu l’honneur de te recruter ! Aujourd’hui, en me demandant de te remettre ta Légion d’honneur, j’ai le sentiment que nous bouclons la boucle, la boucle de trente-quatre ans de complicité politique et professionnelle, singulière et enviée par tous mes collègues, d’amitié, fondée pour ce qui me concerne sur un profond respect et une grande considération pour l’homme et l’élu pour qui il m’a été donné de travailler.
Un jeune instituteur, m’avait donc dit Marcelin Berthelot. Ce jeune instituteur était arrivé à Saint Denis en 1969. Sorti de l’Ecole Normale en 1971, il commença sa carrière à l’école Robespierre, à la Plaine, avec une classe de non francophone, l’école qui accueillait notamment les enfants du bidonville du Franc Moisin. Il la poursuivit à l’école Jules Guesdes, puis après le service militaire , à Jules Vallès où il exerça de 1974 à 1990. Tu as donc été instituteur dans cette ville pendant presque 20 ans, et nombreux sont les dionysiens qui ont été tes élèves et qui se souviennent de la pédagogie active, rigoureuse et volontariste qui était la tienne, pouvant aller jusqu’à emmener en vacances à la campagne, chez tes parents dans le Loir et Cher un élève particulièrement en difficulté.
Engagé dans l’action politique, syndicale et associative depuis 1968, tu décides un soir pluvieux de 1971 de franchir un pas important en sonnant à la porte du siège de la section de Saint Denis du Parti Communiste, alors à la Porte de Paris. C’est Michèle Mitolo qui ouvre. Elle voit un garçon aux cheveux longs tout détrempés, qui lui dit : « Bonjour, je voudrais adhérer au Parti ». La démarche et la situation sont si peu habituelles que l’accueil est réservé. Mais, renseignements pris, tu seras finalement le bienvenu. S’ensuivent quelques dix années de militantisme basique et actif : réunions de cellule, tournées d’huma dimanche, distribution de tracts à la porte des entreprises, comité de section, etc…
En 1983, Marcelin Berthelot te demande d’être sur la liste d’union de la gauche qu’il conduit de nouveau pour les élections municipales. Tu es donc élu au conseil municipal dont tu deviens le Président du groupe communiste ; tâche délicate dans une période particulièrement riche où bon nombre d’élus avec Marcelin Berthelot entrent en indélicatesse avec l’appareil du Parti. Tu les rejoins bientôt, et tu deviens alors, pour reprendre le titre du livre que tu écris avec Bernard Loche, un « drôle de coco », ce que tu étais déjà avant, et que tu es toujours.
Tu deviens maire adjoint en 1987, d’abord au logement et à l’habitat, puis à la culture, deux domaines où tu vas particulièrement t’impliquer et sur lesquels tu vas incontestablement laisser ton empreinte.
Un jour de ces années-là, revenant de chez le coiffeur, tu arrives un peu en retard à Midi moins le kir. C’est là que dans la convivialité, chaque midi, un ou plusieurs verres à la main, sont abordés de nombreux sujets et prises sans doute bon nombre de décisions. Marcelin t’accueille par un jovial et chaleureux : « Ah tiens, voilà une belle coupe de futur Maire de Saint Denis ! » L’annonce de la succession est ainsi faite, la messe est dite si je puis dire, et tu deviens Maire de Saint Denis en juin 1991. Tu le resteras jusqu’en 2005 avec au bilan de tes trois mandats des actions et des projets qui marquent profondément l’histoire de la ville : la poursuite de la renaissance de la Plaine initiée par Marcelin Berthelot, la présidence de Saint Denis Promotion rassemblant les entreprises de la ville, la construction du Stade de France avec son insertion dans la ville et toutes les réalisations qui l’accompagnent, parmi lesquelles il faut citer sans doute la plus belle : la couverture de l’autoroute à La Plaine par un magnifique jardin, l’accueil de la coupe du monde de football en mettant la ville en fête, la réhabilitation de nombreuses cités, la création d’Objectif Emploi, la piétonisation du centre-ville, et bien d’autres choses encore. En 1993, tu es élu député de la deuxième circonscription de Saint Denis, remplaçant là aussi Marcelin. Tu le resteras jusqu’en 2012, en assumant les responsabilités de questeur de l’Assemblée Nationale de 1998 à 2000. Avec toi, le cumul de mandats a eu du bon pour notre territoire. Nombreuses étaient les séances de questions orales le mercredi à l’assemblée où tu te rendais avec comme tu disais ta liste de course, et dont tu revenais en ayant fait avancer quelques dossiers sensibles pour la ville.
Au lendemain de la coupe de monde, à l’automne 1998, Jack Ralite, alors Maire d’Aubervilliers, nous confie qu’il rencontre une difficulté politique. Alors qu’il a toujours joué la carte de la coopération avec Saint Denis pour la renaissance de la Plaine, et puis pour le grand stade, il a le sentiment partagé par bon nombre d’Albertivillariens que la dynamique du développement économique et urbain ne profite qu’à Saint Denis. Considérant qu’il a raison, tu souhaites que l’on trouve le moyen de partager le gâteau avec les villes voisines. C’est là que tu décides de créer une structure de coopération intercommunale, une des toutes premières en Ile de France, pour organiser la solidarité des communes d’un territoire particulièrement pertinent s’il en est. La coopérative de villes, comme tu la conçois et aime l’appeler, Plaine Commune, voit ainsi le jour en 2000, et tu en deviendras le Président en 2004, laissant ta place de Maire de Saint Denis à Didier Paillard. Le pari de l’interco s’avèrera payant. Etre plus fort ensemble n’était pas un vœu pieux : le contrat de plan avec ses deux nouvelles lignes de tramway et le prolongement de la première, celui de la ligne 12 du métro, la tangentielle nord, ainsi que le plus important Contrat Territorial de Rénovation urbaine de France en attestent. Ce sera aussi l’ère des grandes réalisations pour le territoire, que tu seras souvent allé chercher avec les dents, comme la cité du cinéma, les archives nationales ou bien encore le campus Condorcet. C’est aussi plus récemment la période d’un travail de grande qualité avec Christian Blanc, secrétaire d’Etat au Grand Paris, qui conduira à programmer sur Plaine Commune plusieurs lignes et plusieurs gares du Grand Paris Express, dont la plus importante de tout le réseau à Pleyel, avec à la clé un contrat de développement territorial pour notre territoire de la culture et de la création. Mais tu ne t’es pas arrêté là, et ton ambition pour ce territoire est telle que tu livres de nouveaux combats pour le franchissement des voies ferrées par exemple, ou bien encore le village et la piscine olympiques.
En tant que Président de Plaine Commune, tu as été dès la première heure un artisan majeur de la construction du Grand Paris. Président de Paris Métropole en 2012 , puis vice-président de la Métropole de Paris, tu ne cesseras de te battre pour une vraie Métropole multipolaire permettant tout à la fois de lutter contre les ségrégations territoriales, organiser les solidarités entre territoires tout en maintenant une gestion de proximité.
Tel est l’histoire et le bilan résumés d’un enracinement, d’un attachement, d’un engagement, d’une action particulièrement remarquable au sein de ce territoire, qui légitiment grandement cette légion d’honneur. Si je suis un peu long, veuillez m’en excuser, mais dans l’exercice qui m’est confié ce soir, celui de retracer le parcours du récipiendaire, vous conviendrez que compte tenu de sa richesse, il m’est difficile de faire plus court, d’autant plus que si je terminais ce propos sans parler de l’homme qu’ est Patrick, de sa manière de faire de la politique, je passerais à côté de ce qui à mes yeux est le plus important. Tous ceux qui ont eu le privilège de côtoyer Patrick ont en partage quelques mots: Sincérité, responsabilité, humanité, altérité, ouverture et tolérance.
Sincérité et responsabilité parce que Patrick est un homme de conviction, de principe, qui ne lâche rien sur le fond, l’intérêt général et le bien commun chevillé au corps, bien loin de la démagogie et de toute forme de populisme.
Humanité et altérité ; la disponibilité, l’écoute et le respect lors des audiences où il reçoit les gens, mais aussi sans rendez-vous dans la rue ou dans son bureau toujours accessible, en prenant le temps quelques soient les circonstances de déminer les situations les plus tendues, et parfois, j’en atteste, quelque peu terrorisantes. C’est aussi cette humanité qui fera que Saint Denis est devenue un haut lieu de la solidarité avec les sans-papiers, une ville monde aux mille couleurs, à l’instar de son marché, où l’exclusion n’a pas droit de cité.
Tu répugnes à cet entre soi qui mine la cohésion sociale. Si tu es tout à fait à l’aise avec « les élites » de ce monde pour reprendre une expression à la mode, tu te sens aussi bien avec tes potes de Saint Denis que tu aimes retrouver le samedi matin au Khédive ou au Pavillon, avec qui tu te ressources. Un de nos amis me disait l’autre jour que tu t’adressais de la même manière au Président de la République venu appréhender le projet de remontage de la flèche de la Basilique qu’à l’agent de la propreté que tu venais de saluer juste avant, avec le même respect, la même considération, la même empathie. Tu fais aussi bien la bise à toutes les dames que tu connais et que tu rencontres dans la rue (des fois, ça prend du temps que de se promener avec toi) qu’aux dames ministres que tu accueilles sur le territoire.
Mais aussi ouverture et tolérance : tu as toujours combattu le sectarisme, où que ce soit, et manifesté la volonté de travailler avec tout le monde, chefs d’entreprise, élus de droite ou de gauche, pourvu que ce soit pour l’intérêt général et celui du territoire et de ses habitants. Le bien commun nous rassemble, et l’éternel optimiste que tu es voit toujours dans les gens et les choses leur bon côté. La rancune et l’agressivité sont des sentiments qui te sont étrangers. Tu recherches toujours ce qui rapproche et rejette ce qui clive.
Tu m’excuseras, mon cher Patrick, je n’avais jamais eu l’occasion de te dire tout ça, mais là puisque tu me l’offres, je te dis tes quatre vérités, d’autant plus qu’à la retraite, je suis libéré de mon obligation de réserve, et je vais continuer.
Ces qualités d’homme politique, ce sont aussi tout simplement celle de l’homme que tu es, de l’époux avec Chantal et votre grande complicité intellectuelle, du père de famille attentionné avec tes cinq enfants, de l’ami simple et fidèle. Je pense sincèrement que si tu as su garder ces qualités, c’est parce que tu as su, malgré le tourbillon grisant et médiatique de hautes responsabilités, continuer à vivre dans la vraie vie. Tous les dionysiens ont pu te rencontrer le samedi matin faire tes courses à Carrefour, au pied de ton logement HLM, accompagner tous les matins ton petit fils à l’école ou bien encore te croiser au parc de la Courneuve le dimanche matin lors de tes entrainements de marathoniens. Il y a par contre une chose qu’ils n’ont jamais compris, moi non plus, c’est pourquoi tu courrais toujours torse nu même par moins cinq. Il y a aussi des choses plus personnelles que les habitants ne savent pas forcément, et que j’ai pu connaitre compte tenu de notre proximité. Je balance tout. C’est par exemple, lorsque je te rejoignais chez toi au petit matin pour partir à un rendez-vous à Paris, je te trouvais toujours en train de passer l’aspirateur, et aussi lorsque par hasard une réunion était annulée, tu te réjouissais en nous disant que tu allais pouvoir aller terminer ton repassage.
Tu peux faire tout ça parce que tu vas vite, très vite. Tu considères qu’il y a toujours un créneau dans ton agenda pour une nouvelle réunion, un nouveau rendez-vous, au grand désespoir de ton assistante. Tu es partout à la fois, pas toujours à l’heure certes, à tel point que Didier Paillard avec le sens de la formule qui le caractérise t’avait gratifié du charmant surnom de Zébulon. Tu fais toujours plusieurs choses à la fois : étudier le dossier que tu vas discuter dans un ministère au volant et sur le volant de ta voiture en slalomant sur le périphérique, lire la presse quotidienne et faire tous ses mots croisés en animant la réunion hebdomadaire du bureau communautaire tout en répondant aux questions de ton DGS assis à tes côtés et médusé par les mots que tu inscrits dans la grille.
Voilà, tel est l’homme que nous connaissons ici, nombreux, souvent depuis longtemps. Je voulais aussi en parler de façon plus intime pour que ceux qui le connaissent moins comprennent bien la singularité de l’homme politique qui a su rester lui-même, ce drôle de coco, cet homme vrai, simple, sincère, positif, hyper actif, à l’optimisme inébranlable et à l’ambition sans limite pour son territoire et ses habitants.
Comme l’écrivait si bien Henning Mankel, écrivain que tu affectionnes particulièrement, dans un de ses derniers romans, « les ballerines espagnoles », « A quoi sert une vie sans rêve et sans ambition, à quoi sert une vie sans action, je veux être utile, je veux être utile à vivre et à rêver ! » Cette belle phrase s’applique parfaitement à toi mon cher Patrick.
Mais revenons à la légion d’honneur, car nous sommes là pour ça.
La Légion d’honneur est la plus haute distinction honorifique de la République. Elle est destinée nous dit-on à honorer les personnes qui ont rendu des services éminents à la Nation. Qu’elle te soit décernée aujourd’hui est tout simplement la reconnaissance des services éminents que tu as apportés à notre pays, à la Métropole parisienne, à Plaine Commune, à Saint Denis et à leurs habitants par ton engagement et ton action infatigables depuis plus de 45 ans.
Certes, cette distinction a quelques fois été galvaudées en étant attribuée à des personnages dont l’honorabilité est discutable. Je sais que tu t’es posé la question de la refuser. Nous t’avons convaincu de l’accepter, parce que tout simplement, c’est quand la Légion d’honneur est attribuée à un homme comme toi qu’elle reprend tout son sens. Ne serait-ce que pour ça, redonner du sens à la Légion d’honneur, ça valait la peine.
Alors, Patrick Braouezec, Au nom du Président de la République, et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés. Nous vous faisons Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’Honneur !
Jacques Marsaud