ALLOCUTION DE MONSIEUR MICHAEL DIAS
Fils de Manuel DIAS, victime des attentats du 13 novembre 2015 à Saint-Denis
» Il est 21h22, je dine au restaurant, quand l’écran de télévision au fond de la salle affiche soudainement un bandeau : « Explosion au stade de France : 1 mort ».
Je me dis : »heureusement Il n’y a qu’un mort »… mais à cet instant, je suis loin de m’imaginer que cette seule première victime, c’est mon père. 129 autres lui succéderont, dans les circonstances que nous connaissons tous. Une attente angoissante suivra pour les familles, qui attendront comme nous, le lendemain, pour se rendre compte que rien ne sera jamais plus comme avant.
Un an s’est écoulé depuis ce 13 novembre qui a changé nos vies.
Un an de deuil, de réflexion, de recherche d’explications. On se dit tout d’abord qu’il est impossible de continuer à vivre et puis, comme tout le monde, on s’habitue.
Comment continuer à vivre après avoir été frappé par le terrorisme ? Comment ne pas se nourrir de ressentiments, ni de haine ? Comment redevenir un pays libre, sans la menace de nouvelles attaques ? Ces questions, je me les pose chaque jour. C’est un défi personnel en tant qu’orphelin du terrorisme, mais qui nous concerne tous.
Souvent lorsque l’on rencontre un problème dans la vie, on recherche chez un père, les réponses aux questions que l’on se pose. Mon père n’étant plus parmi nous, j’ai essayé de trouver dans son histoire de vie les enseignements dont j’avais besoin pour avancer, au lendemain de cet attentat. Et j’ai trouvé.
Tout d’abord, pour combattre la peur que je ressentais. Je n’ai cessé d’entendre mon père nous dire qu’il était impossible de vivre avec la peur au ventre. Face à cette peur de vivre, de sortir de chez soi, cette peur qui nous paralyse, nous empêche de réfléchir et nous mine en silence, nous devons tous continuer à avancer en toute liberté. La tête haute, conscients des risques mais en ne cédant jamais face à ceux qui souhaiteraient nous terroriser.
Pour continuer à vivre en liberté, nous devons également combattre ce terrorisme par la connaissance, par l’intelligence. Mon père est arrivé à 18 ans en France, fuyant la dictature, il a commencé à travailler en usine. Il m’a un jour raconté qu’en entrant dans cette chaine de montage, il s’est juré d’offrir à ses enfants les grandes études que la vie n’avait pas pu lui proportionner. Il était profondément convaincu que c’était par la connaissance et la découverte du monde que l’on pouvait réussir à le comprendre, à l’apprécier et éviter de sombrer dans l’aliénation et l’obscurantisme de tout type.
Et je pense que c’est ainsi que l’on pourra combattre ceux qui nous menacent. A l’heure où certains sombrent par ignorance dans des idéologies aussi simplistes que funestes. Ce n’est que par la connaissance que l’on pourra éviter que les enfants de demain n’acceptent de s’humilier en tant que chair à canon, au service d’intérêts criminels et mafieux qui les dépassent, comme c’est le cas aujourd’hui, Incapables qu’ils sont de réfléchir, de penser le monde et d’exprimer le mal être et l’exclusion sociale qu’ils ressentent.
Enfin, si nous souhaitons continuer à vivre en liberté, il est fondamental de prôner autour de nous la tolérance envers toutes les différences. Là encore de son vécu, mon père m’a laissé des réponses. Né au Portugal mais ayant choisi la France comme pays d’adoption, il était la preuve incarnée que l’intégration est possible et nécessaire. Lui qui avait des amis de toutes nationalités, il savait respecter l’identité de chacun. Pour lui la France était le dénominateur qui nous était commun et c’est cette image de tolérance que je garde de lui.
Aujourd’hui, trop souvent, les débats divisent et exacerbent les différences, faisant croire aux plus naïfs que c’est par l’exclusion des uns que l’on trouvera notre salut.
Nous devons à l’inverse nous efforcer de combattre la stigmatisation et la division. L’intégration est la solution. C’est en offrant les mêmes opportunités à tous que nous réussirons à empêcher que les ressentiments de certains ne se transforment en brutalité pour tous.
Pour finir, un an après cette nuit du 13 novembre qui a changé ma vie, on me demande aujourd’hui encore, avec une curiosité voyeuriste, mais dans le fond assez humaine, comment je fais pour vivre après avoir été privé de mon père de façon si injuste et brutale.
Face à la perte d’un père, comme le disait Jacques Brel, on a que l’amour. L’amour que l’on nous a transmis, l’amour que l’on a donné. L’amour qu’aucune attaque terroriste ni aucune fausse divinité ne pourra jamais nous enlever.
Vive la tolérance, vive l’intelligence et vive la France. «
Michael DIAS